L’environnement immédiat du château de Chambord a été profondément modifié, lorsque les jardins à la française ont été restitués, évènement que le Président de la République, François Hollande, est venu inaugurer le 19 mars 2017. Que s’était-il passé depuis l’époque où le château, depuis des décennies, se déployait devant quelques prairies au Nord et au Sud, d’une morne platitude?
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Les jardins de Chambord en chiffres :
Superficie: 6,5 hectares
618 arbres
840 arbustes
438 unités de topiaires
15 640 plantes pour les bordures
10 928 plantes vivaces fleuries
176 rosiers
18 pieds de citronniers en caisse
18 874 m² de gazon
7 mois de travaux
3,5 millions €
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Le contexte
La plantation des jardins sur la grande terrasse de Chambord est venue donner un point d’orgue magistral à une politique globale et cohérente de mise en valeur des abords du château, classé par deux fois au Patrimoine mondial de l’Unesco : il a été protégé, avec l’ensemble du domaine de 5 500 hectares en 1981 puis à nouveau avec l’ensemble du Val de Loire en 2000. Cette plantation s’inscrit dans une stratégie d’aménagement d’ensemble dont l’objectif principal est la requalification globale des abords du château en vue d’un meilleur accueil du public, composé d’environ 800 000 visiteurs par an depuis 2010.
Les actions suivantes ont été réalisées ou sont en cours d’aménagement :
- aménagement d’un parcours pédagogique autour du plan d’eau
- restitution du jardin à l’anglaise des princes de Bourbon Parme
- construction de la halle d’accueil
- reconquête des concessions commerciales
- requalification de la place Saint-Louis
- restauration-requalification de l’hôtel Saint-Louis (architecte : Jean-Michel Wilmotte)
- rétablissement de la grande perspective au Sud (Avenue du Roi)
- rétablissement de la grande perspective au Nord (Avenue François Ier)
- aménagement de vastes parcs de stationnement situés suffisamment loin du château.
- plantation de 15 hectares de vignes à la ferme de l’Ormetrou
- création d’un chai (architecte : Jean-Michel Wilmotte)
- grande promenade numérique dans la forêt : aménagement d’espaces de découverte et de pistes cyclables (250 ha supplémentaires ouverts au public)
L’histoire des jardins
Une première étude a été commandée en 1990 par le Centre des monuments nationaux (CMN), alors en charge du site de Chambord, réduite aux abords immédiats du château construit par François Ier à partir de 1519, sur des plans de Dominique de Cortone certainement modifiés par Léonard de Vinci, au service du roi dans le Val de Loire depuis trois ans. Le CMN a interrogé des élèves paysagistes de l’École de Versailles dans le cadre d’un certificat « jardins historiques ». La proposition consistait à « creuser » les parterres, pour retrouver les dispositions du XVIIIe siècle.
En 2000-2003, une étude est commandée à Patrick Ponsot, architecte en chef des monuments historiques, par la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC) du Centre, portant sur un schéma directeur des abords. Le premier projet, qui associait le paysagiste Jacques Coulon, proposa un jardin contemporain, refusé par l’Inspection. Le nouveau, rendu en 2003, avec la proposition de restauration des jardins du XVIIIe siècle au nord, de restauration des dispositifs du début du XXe siècle à l’ouest (« jardin anglais ») et de déplacement des parkings pour libérer la vue du Cosson depuis les terrasses (création de parkings sous les quinconces), a été approuvé par l’inspection du Patrimoine et immédiatement mis en œuvre pour les parcs de stationnement et le jardin anglais.
Comme Versailles le sera au début du siècle suivant, Chambord, château de chasse, a été construit dans un marais, celui de la vallée du Cosson, là où le grand gibier - cervidés et sangliers- aime se tenir. Cette situation géographique a empêché pendant plus d’un siècle la mise en oeuvre d’un jardin puisque le terrain ne s’y prêtait pas. Il suffit pour s’en convaincre d’examiner attentivement l’iconographie, peintures, dessins et gravures jusqu’au règne de Louis XIV : il n’y a pas trace de jardin planté devant la façade Nord-Ouest, à l’exception d’un petit jardin, non loin du pont sur le Cosson, dit jardin de l’intendant, rien en tout cas qui ne soit à l’échelle de la façade de la plus grande résidence royale d’Europe jusqu’à la construction de Versailles.
À partir du moment où Gaston d’Orléans, comte de Blois et de Chambord, a commencé à entreprendre d’importants travaux d’assainissement des terrains et de canalisation du Cosson, il va devenir envisageable de planter un jardin sur la terrasse ainsi créée. Ces travaux, dignes des ouvrages de fortifications de Vauban, ont été continués par Louis XIV et ont permis de créer une terrasse posée sur les douves en eau, alimentées par le Cosson canalisé parallèlement à la grande façade Nord-Ouest. Deux magnifiques dessins de Jules Hardouin-Mansart, commandés par le roi, montrent des hésitations dans le tracé des aménagements hydrauliques et le dessin des jardins ; dans les années 1680, il y a de bonnes raisons de penser que le premier de ces dessins a reçu un début d’exécution et il est permis de regretter que ce ne soit pas son second projet, infiniment plus ambitieux, qui ait été choisi. En tout état de cause, les dessins qui ont servi de base à la renaissance des jardins de Chambord datent de 1734, plantations réalisées juste après le séjour du roi de Pologne, Stanislas Leszczynski, exilé en 1725 à Chambord après avoir perdu sa couronne et avant de partir en 1733 à Nancy pour y prendre possession du duché de Lorraine.
À sa suite, le maréchal de Saxe reçoit Chambord de la part de Louis XV en 1745 pour le récompenser de sa victoire de Fontenoy. Il y meurt en 1750.
Durant la période révolutionnaire, les jardins tombent en déshérence faute d’entretien et la veuve du maréchal Berthier, à qui Napoléon a confié Chambord en 1809, ne procède pas à des travaux d’embellissement de l’ensemble.
La souscription nationale suscitée pour offrir en 1821 le domaine au comte de Chambord, petit-fils de Charles X, ne lui permettra pas d’y résider puisqu’il part en exil avec son grand-père durant l’été 1830. Il tient cependant à ce que ses représentants sur place ouvrent le château et le domaine au public et le gèrent en conservant les jardins dans un état de conservation minimaliste. Les princes de Bourbon Parme, héritiers du comte de Chambord, gèreront le domaine de 1883, date de sa mort, jusqu’en 1914. Ils créent un jardin paysager romantique à l’anglaise en vis-à-vis de la façade Sud-Ouest, le long de l’aile de la chapelle. Au tournant du siècle, ils avaient commandé à Achille Duchêne un superbe projet de jardin, dans le goût de la Renaissance, dont on peut juste regretter qu’il n’ait pas été réalisé.
Lorsque l’État se porte acquéreur du domaine en 1931, les jardins du XVIIIe siècle n’existent plus et cet état est maintenu jusqu’au début des années 2000 : alignements de topiaires, boules et pyramides, arbustes et rosiers disposés sur des pelouses sans goût ni grâce. Cet ensemble sera arraché en 1970 et les douves remises en eau en 1972.
Le parti architectural et paysager
L’étude préalable de Patrick Ponsot, après une excellente recherche et une analyse approfondie des différents états connus, a posé un certain nombre de questions :
- Les dessins de Jules Hardouin-Mansart ne correspondant pas à la forme de la terrasse existante, il n’est pas possible de leur donner suite;
- Pourrait-on réaliser le projet d’Achille Duchêne, pour donner l’illusion d’un jardin du XVIe siècle qui n’a jamais existé ?
- Ne devrait-on pas créer un jardin contemporain, a l’instar de ce qui s’est réalisé à la même époque (2013) à Versailles, au Bosquet du théâtre d’eau (maîtres d’œuvre : Louis Benech et Jean-Michel Othoniel) ?
- Restaient ces plans de jardins datés de 1734 (auteur inconnu ?) : ce parti fut finalement choisi et la commande a été passée en 2010 à Philippe Villeneuve, architecte en chef des monuments historiques, de « restitution du jardin du maréchal de Saxe » présenté et approuvé en Commission nationale des Monuments historiques. D’importantes fouilles archéologiques, réalisées en 2016, ont permis de confirmer très précisément dans le sol, l’emprise et le dessin exact des jardins existant au XVIIIe siècle qui serviront à l’établissement des plans d’exécution les plus fidèles qui soient à la vérité historique.
Conclusion
Les travaux, commandés par Jean d’Haussonville, Directeur général de l’établissement public du Domaine national de Chambord, maître d’ouvrage, ont été réalisés en sept mois, d’août 2016 à février 2017, par Pascal Thévard, Directeur des bâtiments et des jardins, sous la maîtrise d’œuvre de Philippe Villeneuve, architecte en chef des monuments historique et de Thierry Jourd’heuil, paysagiste, grâce au généreux mécénat de la Fondation américaine Blackstone, présidée par M. Stephen A. Schwartzmann.
Avec les projets d’aménagement déjà réalisés en amont, l’accueil du public a été considérablement amélioré, enrichi et diversifié ; la fréquentation a augmenté de 26 % en 2017, dépassant le cap du million de visiteurs. La commémoration l’an prochain, du cinq-centième anniversaire de la construction de Chambord et de la mort de Léonard de Vinci sera encore l’occasion de contribuer grandement au développement touristique de ce secteur du Val de Loire.
Désormais, un précieux tapis de Turquie composé de parterres de broderie, de bosquets, de topiaires, de citronniers en caisse, de rosiers, de fleurs multiples et de pièces de gazon découpé, se déploie devant les façades Nord et Est du château et Chambord a retrouvé, avec le jardin romantique des princes, un cadre paysager exceptionnel, digne de ce qu’il représente dans l’imaginaire français.